LIRE ET ÉCRIRE POUR ÊTRE PLEINEMENT CITOYEN
Les bénévoles jouent un rôle essentiel dans l’accès à la citoyenneté des apprenants. L’action de l’association s’est structurée autour de leur présence. En premier lieu, l’espace même de l’association est un espace où s’exerce la citoyenneté explique Caroll Weidich. «Des bénévoles viennent donner de leur temps, de leur savoir-faire dans le seul but de transmettre et d’aider les autres, de manière spontanée et volontaire. Leur démarche est un très bel exemple d’engagement citoyen. Les bénévoles sont formés à l’écoute, ils restaurent et créent du lien social entre différents publics et lèvent ainsi les préjugés. Ils travaillent dans un esprit de bienveillance, sans juger et dans le respect. À titre personnel, je suis tout à fait rassurée sur l’avenir de la société quand on voit ce que les gens peuvent donner. Et à l’association nous sommes aux premières loges pour dresser ce constat.»
Dès le départ, la générosité des bénévoles a inscrit l’action de l’association dans un cercle vertueux. « Nous devons à ces citoyens engagés d’avoir pu grandir et devenir une association reconnue et nous constatons que le monde n’est pas fait que d’individualisme et de crainte des autres, bien au contraire ! »
LES BÉNÉVOLES : LES PILIERS DE LA CITOYENNETÉ
Chacun donne et reçoit à l’association. C’est un enrichissement mutuel. "Nous prenons plaisir à organiser des temps de convivialité régulièrement, l’été ou en fin d’année. Notre objectif est d’aménager des moments où nous permettons à des gens de cultures, de milieux, d’horizons très différents de se rencontrer, de vivre et de partager des moments de vie et d’action commune" conclut Caroll Weidich. L’engagement de l’association auprès des publics et des bénévoles est largement reconnu par les partenaires, l’État en tête :
"Je suis allée à Aulnoye-Aymeries rencontrer l’association j’ai pu apprécier leurs méthodes, leurs valeurs et leur savoir-faire et sentir la manière avec laquelle il fallait agir pour lutter contre l’illettrisme. La chaleur des locaux, les personnes rencontrées, tout montrait que ça fonctionnait bien" commente Mme Sophie Elizeon, Préfète à l’Egalité des Chances.
" L’État a apporté un soutien financier et un soutien en promotion, car la démarche est exemplaire et il fallait le faire savoir. Nous avons aussi fait du lien avec les fondations, par exemple avec la Fondation Anber*, qui demandait à ce qu’on lui présente une association en accord avec ses valeurs."
DES PROJETS CITOYENS POUR TOUS LES APPRENANTS
L’ensemble des actions aspire à susciter une vocation citoyenne. Le choix des projets, des sorties, et des supports d’ateliers répond à la volonté de saisir toutes les opportunités pour favoriser la construction citoyenne. Tout concourt à développer l’esprit critique, à s’enrichir culturellement, à donner du sens à sa vie et à s’ouvrir aux autres. Devenir citoyen du monde c’est apprendre à accepter et à comprendre l’autre dans sa diversité. Ainsi à l’initiative de Caroll Weidich, plusieurs projets ont nourri cet objectif, notamment dans le cadre de l’appel à projets de la Délégation Interministérielle à la Lutte Contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Haine anti-LGBT.
« À l’association Mots & Merveilles, nous n’avons pas peur de l’étranger, nous cultivons la différence et la partageons comme une richesse. Nous nous efforçons d’offrir à nos publics une chance de se rencontrer, d’échanger et de travailler sur des projets communs, de façon à ce que chacun soit apprécié tout simplement en tant qu’homme ou femme, qu’il soit en situation d’illettrisme, analphabète, Français langue étrangère (FLE) ou migrant… En réponse à l’appel à projets de la DILCRAH, sont travaillées dans tous les sites et en petit groupe les valeurs qui sous- tendent la déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen. Nous sensibilisons tous nos apprenants aux restrictions des droits d’autres populations. C’est très important l’ouverture sur le monde, et sur son histoire, même si elle est tragique. Cette année, nous avons consacré des séances d’atelier à l’histoire de l’es- clavage, par exemple.»
Ainsi, la politique pédagogique mise en œuvre par Mots & Merveilles remet le monde et sa diversité au cœur de l’action éducative. Ce qui permet à chacun de comprendre son histoire et son époque. « Les populations éloignées de l’écrit ne sont pas les seules à souffrir de discrimination sociale, d’autres ailleurs dans le monde vivent aussi des évènements terribles, et pouvoir en discuter, c’est ouvrir les fenêtres et tenter de comprendre ces citoyens du bout du monde privés de leur liberté, ou persécutés. Les valeurs passent et se transmettent avec ces projets, des valeurs de tolérance, d’humanisme. C’est notre manière de lutter contre tous les racismes et toutes les formes d’exclusion.»
Les projets sont adaptés au groupe et aboutissent à une vraie expérience collective. Ils sont fédérateurs. Ils donnent l’occasion aux partenaires de l’association d’amener leur contribution. À Fourmies, pour approfondir le thème de l’esclavage, ce sont trois salariés de la Médiathèque qui sont venus lire des albums à voix haute.
ENSEIGNER LE FRANÇAIS AUX MIGRANTS: CITOYENS ET SOLIDAIRES
C’est somme toute assez logiquement, en décembre 2016, que l’association, reconnue pour son savoir-faire, a été sollicitée par l’Etat pour intervenir au Centre d’accueil et d’orientation (CAO) à Louvroil, suite au démantèlement des camps de Grande-Synthe et Calais. Le CAO géré par Adoma Louvroil, met un local à disposition de Mots et Merveilles, qui a permis d’installer une antenne en urgence. Un défi pour l’association qui a dû recruter de nombreux bénévoles pour assurer la mission, et dépêcher sur place deux salariés, tous deux anciens bénévoles et demandeurs d’emploi, formés et recrutés par l’association. Rénald Huber-Bézet, bénévole, et Camille Cendre, qui était alors en service civique, ont été embauchés en CDD. Ils sont épaulés par Marie, une étudiante en FLE. Ils accueillent une cinquantaine de migrants, originaires d’Afrique et d’Asie. Cours individuels, ateliers d’écriture, ex- pression orale, pratiques écrites et numériques, vie quotidienne, les trois jeunes salariés de l’association mettent tout en place pour favoriser l’acquisition de la langue française et permettre aux réfugiés en demande d’asile d’arriver, de reprendre pied, de s’exprimer correctement. Voire pour certains d’entre eux de s’impliquer dans la vie locale.
« Nous incitons fortement les personnes que nous accueillons à s’inscrire à des actions culturelles pour qu’à leur tour elles se sentent légitimes et à l’aise en rejoignant l’équipe de bénévoles. C’est comme ça, qu’un groupe a participé aux Nuits Secrètes, un autre a participé à la création d’une pièce avec le Théâtre Fragile pour le festival de rue de Vieux Condé, les Turbulentes. Ils se sont éclatés. Certains ont pu rencontrer des artistes, préparer les scènes pour les concerts, discuter à tout va avec les festivaliers, d’autres sont montés sur scène et ont rencontré un public enthousiaste.» raconte Audrey Chatelain, directrice adjointe de l’association.
S'EXPRIMER ET SE FAIRE ENTENDRE
Bouleverser les habitudes et exercer sa citoyenneté, pour les apprenants de Mots & Merveilles, c’était parfois peu évident. Oser voter, oser exprimer son opinion, autant d’actes ordinaires qui n’ont pas toujours été aisés pour les personnes éloignées de la lecture et de l’écriture. Inhibés par la honte parfois, elles font tout pour passer inaperçues. Amenés progressivement à donner leur avis, les apprenants sont sollicités pour s’exprimer sur le choix des projets en votant, qu’ils soient adultes ou très jeunes.
L’association organise le Prix des Incos depuis 2009 : près de 800 enfants Aulnésiens scolarisés de la maternelle et primaire élisent leur livre préféré parmi une sélection de 5 albums. Autre action emblématique : la création d’un journal des apprenants dans le cadre de l'atelier d'expression écrite, le groupe est allé au festival de marionnettes de Charleville-Mézières, certains apprenants ont interrogé des artistes, pris des photos, recueilli des informations. Par la suite un travail de structuration a été menée au cours des ateliers : légender les photos des articles, assurer la mise en page, rédiger les articles, une véritable initiation à la création d'une ligne éditoriale et au travail de journaliste.
Les voix de l’association, on les entendra bientôt partout ! Le chanteur Saule a sélectionné les mots des apprenants lors de l’atelier d’expression orale pour en faire une chanson qui est en cours de finalisation. Son titre : «Y’aura». Saule y est accompagné par le chœur de Mots & Merveilles. Bref, toutes les occasions sont bonnes pour que chacun fasse entendre sa parole dans l’espace public.
« Nous sommes très fiers de constater que les apprenants prennent des responsabilités dans la vie locale, conclut Caroll Weidich. C’est très satisfaisant de savoir qu’untel s’est porté volontaire pour le dépouillement, que d’autres s’inscrivent comme bénévoles dans différentes actions, et de voir qu’ils répondent présents quand on les sollicite pour préparer des expos, monter sur scène, prendre la parole en public ou répondre à des journ alistes. La lutte contre l’illettrisme permet de renverser les rôles, pour qu’un jour, celui qui apprend devienne celui qui transmet.»
Article extrait du journal de l'association Rue de la Fontaine - numéro 4, parution hiver 2017-2018.
Publié le 11/01/2019